Hommage à l'abbé Emile MOREL

Dimanche 22 mai à La Varenne Saint-Hilaire

UN HOMMAGE EXCEPTIONNEL DE LA

COMMUNAUTE JUIVE DE SAINT-  MAUR A L’ABBE EMILE MOREL

Une plaque a été posée, dimanche 22 mai, à l’église Saint-Hilaire à la mémoire de l’ancien curé de la Varenne qui sauva une trentaine d’enfants juifs pendant la guerre

Dehors, la pluie n’a pas cessé de la journée…Une pluie de bénédictions. A moins que, comme l’a dit avec humour Moïse Cohen, les anges ne se soient mis à … pleurer ! Des pleurs de chagrin au souvenir des enfants juifs « martyrs » de la Varenne. Mais aussi des pleurs de joie pour cet hommage, exceptionnel et émouvant, rendu à l’abbé Emile Morel (1877-1947) qui sauva, en 1944, près d’une trentaine d’entre eux d’une déportation et d’une mort certaines. Un hommage qui a réuni, ce dimanche 22 mai devant l’église Saint-Hilaire, un grand nombre de Saints-Mauriens, élus et représentants d’associations, de paroisses, jeunes et vieux, juifs et chrétiens. 

Pleurs de peine et pleurs de joie, à l’unisson des paroles d’André Kaspi, historien et adjoint à la culture, qui évoque les « heures douloureuses » et les « heures glorieuses » de Saint-Maur sous la botte de l’occupant nazi. L’universitaire fait revivre l’atmosphère de la ville qui, en 1940, compte environ 50.000 habitants, dont 472 de confession juive, et qui paya son tribut à la guerre : bombardements, combats de rue, actes de résistance ou de collaboration, arrestations et déportations à Drancy, avant le « terminal » d’Auschwitz. Ce sont des « justes », comme l’abbé Emile Morel, « qui ont sauvé l’honneur de Saint-Maur et de la France », conclut André Kaspi très applaudi.

Cet hommage à celui qui fut le curé de la Varenne pendant la guerre est, pour Michel Dluto, président de la communauté juive de la ville, très ému et entouré par les porte-drapeaux et les scouts, la consécration de vingt-deux années de patience, de recherches et d’efforts. « Vingt-deux ans, lance t-il au micro, que j’attendais ce moment… ». Vingt-deux ans pour exploiter les documents, heureusement réunis par Jacques Laïk et le Père Philippe Clément, et pouvoir enfin saluer la mémoire de l’abbé Emile Morel qui, de 1941 à 1944, sauva une vingtaine d’enfants juifs de l’orphelinat Beiss Yessoïmim, au 30, rue Saint-Hilaire, et de la pension Zysman, au 57, rue Georges-Clémenceau.

Pour ces enfants sauvés, combien d’enfants morts ! Pour ces actes de courage, combien d’actes de délation et de trahison ! Michel Dluto, qui préside le groupe Saint-Maurien contre l’oubli, rappelle la mémoire des 28 enfants juifs raflés dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, transférés à Drancy puis à Auschwitz le 31 juillet 1944. Et celle du sinistre vicaire Robert Arech, en réalité un espion saint-maurien au service des occupants allemands, qui dénonça des innocents et sera fusillé après la guerre. Avant de brosser la figure d’Emile Morel, « prêtre-soldat » de la Grande guerre qui, pendant la suivante, n’écouta que son coeur et sa foi et mit ses qualités de « pasteur » au service des plus vulnérables, qu’il aidait sans considération de religion. 

Des témoignages suivent à la tribune illustrant l’ « héroïsme » de l’ancien chanoine aujourd’hui honoré: celui d’Alain Goldenberg, qui avait 4 ans au moment des faits, et qui veut faire d’Emile Morel un « Juste parmi les nations » car, dit-il, « qui sauve un enfant sauve l’humanité ». Venues de province, les deux filles de Jeanne Steinloff, un autre rescapé   disent à leur tour toute leur estime pour ce prêtre et, comme lui, pour tous ces « inconnus de l’ombre qui sont des exemples et des saints ». Enfin, Paule Lerou, paroissienne de Saint-Hilaire, se rappelle des cours de catéchisme de l’abbé Morel et des « goûters » qu’il organisait dans les écoles pour tous les enfants de la ville «  quelque soit leur religion ». 

 

Après le dévoilement de la plaque qui révèle sobrement l’action de l’ancien curé - apposée sur le mur près de l’entrée de l’église Saint-Hilaire - vient le moment de célébrer l’amitié entre juifs et chrétiens. Elle était rare à l’époque de l’abbé Morel. Elle est précieuse aujourd’hui, à l’heure de nouvelles menaces. Les Pères Stéphane Aulard et Pierre-Edouard le Nail louent l’action de leur prédécesseur à la paroisse Saint-Hilaire, mais soulignent aussi la symbolique de la proximité entre l’église et la synagogue de la Varenne, construites au même moment au début des années 1930 et que seuls « séparent un jardin et le souvenir des enfants morts et sauvés», dit Pierre-Edouard Le Nail, pour qui l’exemple d’« un prêtre qui a pris soin d’un coin d’humanité ne peut que nous rendre meilleurs …». Quant à Stéphane Aulard - qui représentait l’évêque de Créteil retenu par son synode -  il s’interroge à haute voix sur une Eglise et un pays capables de faire émerger deux figures d’hommes aussi dissemblables qu’Alech et Morel. Il fait de ce dernier « le représentant d’une France que nous aimons et que nous voudrions voir grandir toujours plus en humanité ».

Entre deux chants yiddish interprétés par la chorale, des voix juives se relaient au micro. Celle, puissante, de Moïse Cohen qui fait vibrer l’assemblée quand il célèbre l’action de ces « héros de l’ombre », de ces « anonymes », de ces « catholiques et protestants qui, au prix du danger, ont abrité des enfants juifs, dans leurs couvents, écoles, temples, églises ». Ce sont des chrétiens, souligne l’ancien président saint-maurien du Consistoire israélite de France qui, « au nom de leur foi, ont été solidaires avec nous aux heures les plus noires de la shoah ».

Puis la voix du grand rabbin Olivier Kauffmann, directeur de l’école rabbinique de France qui insiste, lui, sur le devoir de transmission de la mémoire, y compris des « actes de bravoure » comme celui de l’abbé Morel, et qui souligne ce qui est, pour lui, « l’essentiel » du message d’Abraham commun au judaïsme et au christianisme, à savoir que « la relation à Dieu s’inscrit toujours dans la relation à l’homme et à l’Autre». Puis celle du grand rabbin de France, Haïm Korsia qui, à son tour, évoque « le réveil des consciences chrétiennes » qui s’est aussi produit au pire de la guerre, illustré par des figures célèbres comme celles de Mgr Salièges, Mgr Théas, des pasteurs Boegner et Trocmé, des soeurs de Sion. Autant de noms cités par le grand rabbin qui ont touché la partie chrétienne de l’assistance qui a répondu par des applaudissements nourris.

Cette célébration du souvenir de l’abbé Morel et de l’amitié entre juifs et chrétiens faisait écho à une actualité douloureuse dont le grand rabbin Kauffmann a rappelé aussi « les paroles outrancières et haineuses ». Les représentants de la communauté juive ont tous vu dans l’abbé Morel un homme de la guerre qui «a fait son devoir de chrétien », un prêtre qui « a été fidèle aux engagements de l’Evangile », un citoyen du monde qui « a fait de la conscience morale une arme pour lutter contre la barbarie » .

Mais son exemple vaut encore pour aujourd’hui. Le devoir de mémoire s’accomplit dans le devoir de vigilance. Le grand rabbin Kauffmann lance un message aux juifs et aux chrétiens réunis ce jour à la Varenne : « Notre commune origine nous renvoie à notre commune responsabilité : tout faire pour que cela ne se reproduise plus », A sa façon, le grand rabbin de France dit la même chose : « La qualité de notre relation à Dieu passe par la qualité de notre relation avec le prochain et aujourd’hui cela veut dire lutter contre l’indifférence ». Car, conclut-il en citant Elie Wiesel, « l‘inverse de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence ».

Avant la prière en commun « pour la République », célébrée sur le parvis de l’église Saint-Hilaire par les prêtres et les rabbins présents, il revenait à Sylvain Berrios, député-maire de Saint-Maur, de clore cette journée d’exception dont il donne la pleine signification politique: à Saint-Maur pendant la guerre, des hommes « qui ont charge d’âme » ont incarné l’honneur de la France « face aux petitesses de l’Etat de l’époque ». C’est une leçon pour aujourd’hui face « aux nouveaux bâtisseurs de murs et de camps » et face « à ceux qui cherchent à radicaliser leur religion ». Une sorte de mission, qui vaut pour toutes les communautés et consiste à éveiller les « consciences endormies », à jeter des passerelles entre les hommes et à faire dans une vie comme celle de Saint-Maur l’expérience d’un nouveau vivre ensemble.

L’assistance pouvait alors fredonner, avec la chorale, le « C’est beau la vie » de Jean Ferrat, avant de se retrouver autour d’un « pot » de l’amitié et de promettre de se revoir le jour,  pas trop lointain, où, comme l’ont souhaité tous les orateurs de la journée, Emile Morel sera enfin cité et honoré par le Comité de Yad Vashem comme « Juste parmi les nations ».

 

Henri Tincq

Le reportage photo