Commémoration du 70 ème anniversaire  de la Déportation des 28

Orphelins de La Varenne et de leurs 6 Monitrices

 

Par Le Président Michel DLUTO

 

Dimanche 6 Juillet 2014, nous avions décidé de commémorer le soixante dixième anniversaire de la rafle des 28 Enfants de l’orphelinat et de la pension Zysman de La Varenne. Nous souhaitions donner à cette tragédie vieille de 70 ans un certain  retentissement afin de la faire connaître aux Saint-Mauriens qui l’ignoraient encore. Nous avions invité de nombreux amis juifs et non juifs à ce joindre à nous afin d’écouter le récit historique de Armand Attal ainsi que celui de André Kaspi, Maire adjoint ainsi que le témoignage de Albert Szerman, seul rescapé de ce drame.  Plusieurs élus conviés étaient  présents dont  notre Député Maire Sylvain Berrios.

Après une brève introduction par le président de la communauté juive et du Groupe saint-Maurien Contre l’Oubli organisateur de l’événement, les deux professeurs d’histoire  brossèrent un tableau passionnant et très précis de l’époque allant de l’arrivée d’Hitler, la naissance du nazisme,  la mise en œuvre de l’arme de destruction du monde juif. Ils nous firent état de l’organisation des maisons d’enfants, de l’UGIF pour aboutir sur la dernière rafle du 22 juillet 1944 alors que les alliés avaient débarqués et se trouvaient à 80 kilomètres de La Varenne. Cette dernière ignominie décidée par le Capitaine SS Aloïs Brunner devait faire 270 jeunes victimes acheminées vers Auschwitz par le convoi N° 77 du 31 juillet 1944.

Puis vint le tour d’Albert Szerman, seul rescapé de cette rafle, qui nous livra son témoignage durant de longues minutes ou chacune des 230 personnes présentes retenait son souffle, ne laissant percevoir que le bruit des sanglots de certains.

Nous avons voulu  vous donner quelques extraits de son émouvant récit :«  A La Varenne, petite ville charmante des bords de Marne, s'est déroulé́, à un mois de la libération, un drame épouvantable, la déportation des enfants de l'Orphelinat. La machine à remonter le temps va s'arrêter le 22 juillet 1944, date qui va rester à tout jamais dans les mémoires. Ce jour d'été́, a priori comme les autres, va se transformer en cauchemar pour ceux qui l'ont vécu et ceux, si rares, qui ont survécu. Rien ne laisse présager ce qui va suivre si ce n'est qu'il règne alors une animation inaccoutumée; des préparatifs de départ s'organisent, les enfants âgés de 4 à 11 ans sont brutalement réveillés, les monitrices s'efforcent de calmer leurs angoisses.

Je suis avec mes camarades quand le destin va se manifester une première fois. Pris de vomissements, je suis emmené́ à l'infirmerie par une employée non juive, puis à son domicile au premier étage d'où je vais être le témoin horrifié de scènes insoutenables. Les 28 orphelins vont être précipités dans les autobus de la honte avec baluchons et matelas puis conduits à Drancy.

Ils vont vivre alors d'horribles journées avant d'être acheminés le 31 juillet par le convoi 77 vers Auschwitz, dans des wagons à bestiaux. Après un épouvantable voyage de 2 jours et demi, entassés dans le noir, apeurés, assoiffés, suffocants, ils vont arriver à Birkenau à moitié nus, et sans chaussures pour la plupart. A leur descente, ils vont être immédiatement gazés.

Il faut savoir que de 1942 à 1944, en France, 11.000 enfants juifs subirent le même sort. Dans le même temps, 70.000 survécurent grâce à la solidarité́ et à l'aide d'hommes et de femmes qui s'opposèrent courageusement à ces "crimes contre l'humanité́".

"Que s'était-il passé à La Varenne avant le 22 juillet 1944 ? Pour ces enfants, la menace, les rafles, pour les adultes du quartier des actes de courage et pour certains aussi des actes moins nobles.
Quant à moi, tremblant de peur, je n'ai pas conscience du miracle qui vient de se produire. Au petit matin, l'employée qui m'a sauvé, va alors se libérer de toute servitude et, par crainte de probables représailles, me laisser au bas de chez elle. C'est alors que le destin va se manifester à nouveau. Comme chaque jour, de très bonne heure, un couple de commerçants qui possèdent une épicerie non loin de l'Orphelinat, se rend à ses achats et découvre un gamin chétif, à moitié endormi; ils comprennent qu'il s'agit d'un rescapé de la rafle de la veille. Ils le ramènent et le cachent dans leur arrière boutique.

Voilà le début de cette histoire qui va ensuite s'accélérer et rendre le parcours de cet orphelin plus miraculeux encore. Mes sauveurs, vous l'aurez deviné, Solange et Henri Ardourel, vont s'évertuer à me prodiguer les soins nécessaires à mon état. Sous alimenté, mon rachitisme peut faire craindre le pire. Il va leur falloir beaucoup de patience et de temps aussi pour faire du jeune Albert un enfant comme les autres. Pour cela, ils vont prendre tous les risques et ignorer le danger qui est permanent. Le matériel ne va plus alors compter, ils vont mettre leur activité́ commerciale entre parenthèses, alors que les gens manquent de tout, le profit va s'avérer secondaire et tout cela en oubliant leur propre sauvegarde. Ce qui est sûr, c'est que sans une chance insensée et sans l'attitude exceptionnelle de Monsieur et de Madame Ardourel, je ne serais plus qu'un nom et une date de naissance gravés sur une plaque, apposée en 1986, sur un mur triste, sur les lieux mêmes de la tragédie : Szerman Albert 8 ans."

Encore maintenant, après de 70 ans, les cauchemars hantent mes nuits et dans ma mémoire se bousculent tous ces visages affreusement tristes pour qui amour et confiance ne furent que de vains mots. A l'instant de partir, ils avaient dans le regard ce reste d'innocence que la détresse a défloreŕ. Privés d'un père et d'une mère, disparus dans la tourmente, ils ont tendu leurs petites mains à leurs bourreaux, sans même comprendre qu'ils seraient victimes de la barbarie des hommes.

Je voudrais vous confier un petit secret : Solange et Henri Ardourel avaient envisagé mon adoption, quels merveilleux parents adoptifs j'aurais eu, hélas j'ai suivi une autre route..." »

Albert Szerman à demandé la Médaille des Justes pour Solange et Henri Ardourel, cette distinction tant mérité leur a été attribué à titre posthume le 20 mai 2012, elle fut remise à leurs neveux Monsieur et Madame Létoffé qui nous avaient fait l’honneur d’être présents ce 6 juillet. Voici la conclusion de son discours lors de la cérémonie de l’époque.

  « Le petit garçon est devenu un vieux Monsieur, il vit l'un des plus grands jours de son existence, ce 20 mai 2012. Cette médaille et ce diplôme, s'ils mettent en lumière un moment dramatique de leur vie, sont aussi, pour nous tous ici présents, la plus belle et la plus méritée des récompenses. J'aurais tant aimé qu'ils reçoivent cet hommage de leur vivant, j'aurais tant voulu partager avec eux leur émotion, et pour tout dire, ces rares instants de pur bonheur. J'espère qu'à travers ce récit, vous aurez appris à connaitre et à aimer deux êtres exceptionnels, admirables de courage et de volonté́ et à qui je dois tant. Merci Solange, merci Henri, pour ce magnifique cadeau que vous m'avez offert : la Vie. »

Le miracle, en fait, c'est que 70 ans après la déportation des orphelins de La Varenne, tout est encore présent et le sera jusqu'à mon dernier souffle. Il n'y aura jamais de place pour l'oubli. Quand on a connu et vu toutes ces horreurs, quand on a croisé la route d'hommes et de femmes si merveilleux, on peut se préparer à refermer le livre de sa vie."

Après ce très émouvant témoignage, les personnes présentes se  levèrent pour faire une ovation à cet homme courageux, aujourd’hui âgé de 78 ans. Faisant suite au déroulement prévu, nous nous sommes rendu devant la plaque du souvenir ou plusieurs de nos petits enfants ont déposé un bouquet et lu les noms et les âges de ces victimes de la Shoah. Une prière fut dite à leur mémoire.

La dernière partie de cet après midi de Mémoire devait se terminer dans le square voisin, près de la sculpture témoin de ce drame ou le député Maire Sylvain Berrios entouré de nombreux élus rendit un vibrant hommage aux enfants exterminés ainsi qu’à l’Abbé Emile Morel qui avait sauvé de nombreux enfants juifs dans ces années de folie.

Un lâché de ballons et un verre de l’amitié devait clore cette cérémonie dont chacun repartit ému mais satisfait d’avoir participé.

 

Michel DLUTO